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Crédits : The Jokers / Les Bookmakers

L’ANNÉE DU REQUIN, injustement incompris ? – Critique

Cet article a pu être réalisé grâce à notre partenaire Ciné+ OCS. Son contenu est indépendant et conçu par la rédaction.

Le troisième long-métrage des frères Boukherma a connu un échec autant critique que commercial. Pourtant, s’il n’est pas exempt de défauts, L’ANNÉE DU REQUIN a bien plus à offrir qu’une simple parodie des Dents de la mer. Retour sur un film peut-être injustement mal-aimé.

Un ton cynique resté incompris

Sorti en 2022, L’ANNÉE DU REQUIN a été vendu comme un film d’attaque animale à la française, dans le sillage des Dents de la mer de Steven Spielberg. En réalité, il aurait été plus juste de nuancer le propos et de le définir comme une réinterprétation des codes du film de genre à des fins plus sociétales et plus ancrées dans la culture francophone. Les frères Ludovic et Zoran Boukherma s’étaient déjà essayé à l’exercice avec Teddy en 2020. Un film de loup-garou, qui s’était avéré moins un film sur la lycanthropie qu’un récit sur l’exclusion sociale de certaines couches pauvres de la population rurale. En devenant loup-garou, le personnage principal embrassait sa condition de freaks bien malgré lui, contraint par des pressions externes sur lesquelles il ne disposait d’aucun pouvoir.

Dans Teddy, comme dans leur premier long-métrage, Willy 1er sorti en 2016, les Boukherma témoignaient déjà d’un humour d’un cynisme déroutant, tantôt fataliste, tantôt absurde. Et leur cinéma continue d’explorer cette tonalité et cette écriture, dans la lignée des Delépine et Kerverne, quitte à laisser une partie de leur audience sur le carreau. En effet, si L’ANNÉE DU REQUIN n’a pas trouvé son public, c’est certainement en raison de son casting, avec à l’affiche Marina Foïs, Kad Merad et Jean-Pascal Zadi. Des noms plus généralement associés à la comédie populaire, malgré la grande versatilité de ces acteurs – qui prouvent là, encore une fois, leur large éventail de jeux.

Portrait d’une gendarme en pleine quête de sens

Malheureusement, à vouloir vendre L’ANNÉE DU REQUIN comme parodie des Dents de la mer avec Marina Foïs et Kad Merad, les intentions derrière le projet sont demeurées incomprises. Car le film se révèle loin de la comédie potache rythmée, et même du sous-genre de l’attaque animale. Des Dents de la mer, il conserve avant tout la dimension sociale, en se concentrant moins sur les attaques du requin que sur le portrait de Maja, gendarme maritime du Sud-Ouest de la France. Une femme qui ne parvient à se définir que par rapport à son emploi. Investie d’une mission, elle se dévoue à son travail jusqu’à l’absurde, au détriment de sa vie familiale. Tout comme le chef de la police, Martin Brody, dans le film de Spielberg.

Toutefois, là où Brody partait en quête de sa masculinité en prenant le dessus sur l’animalité, Maja – interprétée tout en retenue par Marina Foïs – entreprend davantage de donner du sens à sa carrière dans la gendarmerie. Une carrière menée sur un littoral bien calme, où les événements semblent se dérouler au ralenti. À la veille de la retraite, ses années de fonction ne paraissent pas lui avoir offert un épanouissement professionnel suffisant. Et ce, malgré son exemplarité et son implication démesurée. La chasse au requin intervient donc ici comme un moyen de s’accomplir et de parvenir enfin à concilier tous les différents aspects de sa vie.

Des auteurs avec un fort potentiel

À ce titre, L’ANNÉE DU REQUIN livre un portrait de femme touchant, qui plus est dans l’air du temps, car il questionne la féminité de Maja au sein de la gendarmerie et plus largement, parmi la population locale. En effet, comme dans Teddy, les frères Boukherma s’intéressent particulièrement au lieu où se déroule l’action et à ses habitants. Des thématiques qui constituent des motifs récurrents de leur cinéma. Teintés du bleu de l’océan, le cadre et la mise en scène offrent une sublime représentation de la station balnéaire de La Pointe du Cap Ferret, située dans le bassin d’Arcachon. À nouveau, les réalisateurs témoignent d’un réel amour pour les paysages provinciaux. Ils s’expriment également sur la dynamique entre les habitants, dans un décalque des relations entre les personnages des Dents de la mer, toutefois réadapté à notre époque et aux spécificités françaises.

Qu’on adhère ou non à leur humour absurde et grinçant, les deux réalisateurs se distinguent tout de même comme des auteurs avec un fort potentiel. Néanmoins, L’ANNÉE DU REQUIN n’est pas exempt de défauts. À trop vouloir baser son rythme sur l’ambiance paisible du littoral, le film en vient à manquer de rythme. Si bien que les attaques du squale ne semblent pas troubler outre-mesure l’apparente tranquillité de La Pointe. Il lui manque ce grain de folie un peu punk qui avait su séduire une partie du public dans Teddy. Il n’empêche que le futur projet des Boukherma, une adaptation du roman Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu, portant sur la désindustrialisation et son impact sur la classe ouvrière française, semble taillé sur-mesure pour leur cinéma. À charge de revanche.

Lilyy Nelson

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