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Crédits : Cinefrance

ADIEU PARIS, bazar et poésie – Critique

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Ah, ADIEU PARIS, la dernière création d’une des personnalités les plus fascinantes de France. Pourtant, le succès critique et surtout public n’est pas vraiment au rendez-vous. Un public d’habitude particulièrement fan de la personnalité en question. Mais il y a peut-être une explication.

« J’ai beaucoup de mal avec la fiction, ça me change du tout au tout. Je sors d’un film, je me dis : voila ce que je veux faire ! ». Dans cette phrase réside probablement une clé importante pour comprendre l’homme concerné aujourd’hui. Ce qui est toujours nécessaire quand on veut aborder une œuvre faite avec sincérité par quelqu’un qui se livre, ce qui est le cas ici. Car, quand on l’observe en interview par exemple, Edouard Baer, artiste accompli et homme très apprécié, on se rend compte qu’il y a beaucoup de choses derrière cette apparente décontraction et légèreté. Le regard cherche, hésite, les mains bougent, le corps parle. Edouard Baer est de ceux, tel par exemple un Albert Dupontel, qui réfléchissent énormément. Impressionnant de justesse et d’humanité quand ils prennent la parole, leurs réalisations sont par extension elles aussi très riches. Sauf que si le second cité fait montre depuis longtemps d’une maitrise assez hallucinante que ce soit pour écrire, se servir d’une caméra ou jouer devant, il n’en est pas du tout pareil avec le premier. Et même si celui-ci déclare chercher cette façon de faire, il est difficile de s’enlever de l’esprit une sensation brouillonne qui parsème le film, voire le parasite. Aucun doute, les intentions sont réellement sincères et émouvantes, mais une impression constante de bazar qui part un peu dans tous les sens en cherchant toujours ce qu’il essaie de partager et comment reste là malheureusement.

Et si cette sensation imprégnait déjà pas mal son précédent film, Ouvert la nuit (2017), elle se manifestait cette fois par un besoin constant de mouvement, le long-métrage en question suivant pendant toute une nuit les aventures d’un directeur de théâtre dont on pouvait déjà voir une ressemblance avec l’auteur qui l’interprétait. Baer y incarnait en effet un homme qui ne s’arrêtait jamais, donnait de la tête partout, essayait d’esquiver les problèmes et parcourait Paris à la recherche de quelque chose qui lui échappait peut-être. Ce gars qui bouge pour ne pas laisser ses pensées l’envahir alors qu’il nous emmenait avec lui pour nous partager sa vision de Paris. Mais dans ADIEU PARIS, le dispositif s’inverse, puisque celui-ci est au contraire un (quasi) huis-clos immobile prenant place dans un bar-restaurant « le [vrai] lieu culturel, là où tu rencontres des gens » selon Baer. Et si la volonté de base est belle, ce dernier ne manquant pas de rappeler l’importance de ce genre de lien social, ici, c’est quand même un peu le bordel tout ça.

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Crédits : Cinefrance

Edouard Baer nous parle cette fois à travers un groupe de personnages incarnés par des hommes qu’il admire, réunis, dans le contexte du film, pour leur annuel déjeuner entre « rois de Paris ». Repas qui sera, donc, aussi bordélique que sincère, maladroit que touchant, brouillon que précis. Du début jusqu’à la fin, l’impression frappe. Dès que les fameux artistes se pointent — portant parfois le même nom que les acteurs qui les interprètent, parfois non — l’auteur va enchainer les scènes comportant autant de matière inspirée que d’imprécisions donnant presque l’impression d’assister à une répétition. C’est d’autant plus dommage que Baer affirme vouloir donner cette impression d’imperfections qui rôdent, de perles qui peuvent jaillir d’un coup. Mais d’un autre côté, il a voulu son scénario suivit précisément… Et donc, principalement au niveau de la mise en scène (pas spécialement marquante ou inspirée) et du montage, le résultat déçoit un peu. Des bonnes répliques arrivent à intervalle assez régulier, mais globalement, les dialogues sont plutôt attendus. Daniel Prévost va par exemple nous faire du Daniel Prévost, balançant les vannes avec son ton habituel… Si Bacri était encore vivant et présent dans le film, il jouerait probablement le râleur qu’on adore. Et si ça représente le thème du film, le déjà vu menace régulièrement, les répliques écrites et interprétées côtoyant constamment les phrases un peu banales semblant sortir des moments peu intéressants d’un repas familial. Assez curieux. Et encore une fois, constant. En témoigne la réception du film, donc, laquelle est relativement bonne pour la presse, mais assez froide pour le public.

Et puis au milieu de tout ça, trois personnages en particulier attire un peu plus l’attention que les autres, tous bénéficiant d’une mélancolie encore plus marquée que pour le reste de la bande, car émanant notamment par le silence. Le premier, incarné par Benoit Poelvoorde, sera celui mit à l’écart par les autres, noyant sa tristesse dans les verres de blanc qu’il s’envoie au comptoir entre deux regards dégoutés vers la table qu’il ne peut pas rejoindre. Le second, Jackie Berroyer, est un émouvant vieil homme un peu perdu ayant du mal à interagir avec les autres, ce dernier rejouant parfaitement et avec tendresse un personnage semblable à celui qu’il interprétait dans le magnifique Adieu les cons, œuvre remarquable du déjà cité Albert Dupontel. Enfin, Gérard Depardieu amènera mélancolie et philosophie durant plusieurs séquences en marge du groupe, au fil d’une sorte de running gag bien trouvé. Moments qui seront, pour les deux derniers, peu présents dans le film mais qui laisseront plus de place à une certaine contemplation bienvenue.

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Crédits : Cinefrance

Car c’est ça ADIEU PARIS. Durant 1h36, Baer et sa co-scénariste Marcia Romano (qui est intervenue à ce poste sur bon nombre de film, dont — décidément — Adieu les cons) nous livrent donc une proposition assez déconcertante, rejetée par un certain nombre de gens, mais toujours réalisée avec sincérité. Pour une réplique qui devrait être drôle et n’est finalement pas plus inspirée que ça, on a une phrase plus discrète mais bien sentie. Pour une série de situations et d’échanges un peu convenus voire parfois un peu gâchés par le montage, on nous offre ensuite un plan émouvant où tout d’un coup la magie opère. Pour ce qui peut ressembler à certains moments à une cacophonie, on obtient des envolées touchantes, tel un Poelvoorde qui chante avec tout son cœur lors d’une jolie séquence au piano. Edouard Baer le disait, d’ailleurs. Dans la même interview, il confiait ne pouvoir mettre un doigt sur ce qu’il pense qu’une fois sa réflexion exprimée à voix haute. C’est peut-être pour cette raison que ça parle beaucoup dans ADIEU PARIS. Ça parle beaucoup pour échanger avec les autres. Pour essayer d’y voir plus clair. Pour mettre un mot sur ces doutes qui assaillent tous ces personnages, ceux déjà cités tout comme les Arditi, Damiens, Le Coq, Murat et consorts. Mais qui nous habitent aussi tous. Le temps qui passe, l’amitié, la célébrité, la confiance en soi, la mort… Et si l’artiste cinquantenaire n’arrive donc pas encore à atteindre le degré d’inspiration qu’il trouve sans mal juste en discutant, chacun de ses entretiens étant des bonheurs d’humanité et de réflexion, il livre avec son ADIEU PARIS un objet certes assez bordélique, mais toujours poétique. Peut-être parviendra-t-il dans un prochain film à se trouver plus précisément et à faire gagner, cette fois, la poésie. En tous les cas, il demeurera une figure toujours aussi agréable et précieuse dans ce pays et cette ville qu’il aime tant et on continuera de le remercier de se livrer comme il le fait. Alors, en attendant que ce soit au tour d’un(e) autre grand(e) artiste française(e) de dire adieu à quelque chose, nous, on vous dis à la prochaine, monsieur Baer. Avec plaisir, toujours.

Simon Beauchamps

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Titre original : Adieu Paris
Réalisation : Edouard Baer
Scénario : Edouard Baer, Marcia Romano
Acteurs principaux : Benoit Poelvoorde, François Damiens, Pierre Arditi
Date de sortie : 26 Janvier 2022
Durée : 1h36min
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