A l’image du film d’action nerveux et efficace que peut donner ASSAUT, il faut lui préférer sa force d’abstraction, son sens du mysticisme et son écriture musicale. John Carpenter n’a jamais volé son titre de maître du genre : il en est le maître car à si bien le connaître, il en malaxe les codes pour le rendre indémodable.
Des ombres dans la nuit, sans visage. Des bras armés bientôt inertes, tombés sous les balles tirées par la main de la loi. Une main, c’est tout ce que l’on voit. L’introduction d’ASSAUT nous plonge tout de suite dans une abstraction : les tueurs sont sans visage, quelque soit le côté qu’ils choisissent. John Carpenter n’essaye pas d’asséner un discours anti ou pro police, son ambition est ailleurs : dans la chorégraphie des corps rampant, dans la symphonie des balles, dans la cartographie d’un lieu.
Tout dans l’intrigue n’est qu’affaire de hasards qui resteront inexpliqués : un nouveau flic convoqué dans un vieux commissariat qui ferme le lendemain, un meurtre cruel et absurde qui mène à une vengeance comme élément déclencheur, un condamné malade qu’il faut emmener à l’hôpital… Le destin, notion tant et tant utilisée qu’elle en est venue à s’émousser, prend ici tout son sens. Carpenter se sert du destin comme un prétexte aux événements qu’il ne cherchera pas à boucler (ce n’est pas Christopher Nolan) ni à théoriser mais qu’il balayera pour laisser place à l’action pure.
C’est qu’il y a une part de mystique dans ASSAUT, ce qu’a complètement oublié son remake de 2005. Celui-ci fait d’ailleurs de son héros policier un homme blanc et du prisonnier un homme noir : l’inverse du film de Carpenter qui donne ici beaucoup à apprendre sur la sacro-sainte représentativité qui occupe tout Hollywood actuellement comme si elle avait oublié son histoire. Dans le quatuor d’assassins d’ASSAUT : un noir, un hispanique, un blanc et un asiatique se retrouvent autour d’un saladier dans lequel ils versent chacun leur sang sous une forme de rituel en hommage aux membres du gang tombés au combat.
Ce rituel, ce qui lie ces quatre personnages, le drapeau qu’ils déposent devant le commissariat comme une sommation, rien ne sera expliqué par le film. Les codes de gang deviennent rites vaudou. Autour du commissariat, les membres du gang surgissent en nombre infini, comme des ombres affamées de sang, dépourvues d’âme, comme des zombies. Dawn Of The Dead de Romero sortira deux années plus tard et on ne peut s’empêcher d’y penser dans ce huis clos où la menace vient de l’extérieur, inexorable, meurtrière.
Le film de Carpenter est doté d’une précision redoutable. Cela commence par les indications géographiques et horaires de la première partie du film qui situent l’action dans l’espace mais cet espace est brouillé tout le temps : elles nous annoncent un changement de plateau de jeu. Car il y a dans ASSAUT quelque chose de l’ordre du jeu vidéo, dans cette cartographie de la ville puis des alentours du commissariat qui reviennent en boucle comme des backgrounds (impossible de comprendre comment est réellement fait le lieu), dans ces ennemis inépuisables. Quand le calme revient dans le commissariat, un personnage souligne le fait que le gang a récupéré tous les corps, « comme si rien ne s’était passé » : comme si l’on était revenu au début du niveau.
Carpenter n’est pas un créateur de jeu vidéo mais un compositeur : « L’évidence des bandes originales de Carpenter n’est que la traduction auditive de son assurance de conteur. » (Cahiers du cinéma n°765 Avril 2020) Dans ASSAUT, plus encore que le célèbre thème qui ouvre le film, restent en tête la mélodie cadencée du criblage de balles à travers les fenêtres. Carpenter renoue dans ces scènes avec l’abstraction, les balles sont le sujet de la séquence, elles cadencent le rythme des plans. On ressent le plaisir que Carpenter a à composer avec cette matière et à déconstruire le décor de son film faisant surgir d’autres œuvres (musicale et plastique) à l’intérieur de la grande.
Mélanie Dagnet
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• Réalisation : John Carpenter
• Scénario : John Carpenter
• Acteurs principaux : Austin Stoker, Darwin Jonston, Laurie Zimmer
• Date de ressortie : 14 Octobre 2020
• Durée : 1h31min