Après Le discours d’un roi et Les misérables, Tom Hooper revient au cinéma avec une autre adaptation, une autre reconstitution, une autre époque avec DANISH GIRL. Plongeant au début du XXe siècle, au Danemark mais aussi en France, il retrace le parcours d’un des premiers transsexuels : Einar Wegener alias Lili Elbe.
Einar Wegener est un peintre « paysagiste » connu et reconnu au Danemark. Il partage sa notoriété avec son épouse Gerda qui est spécialisée dans les portraits. Le couple mène une vie heureuse entre les expositions, les gouaches, les soirées mondaines ne connaissant qu’un bémol : la difficulté à avoir un enfant. Leur vie bascule lorsque Einar devient modèle pour sa femme en remplaçant Oola Paula.
Tous deux nommés aux Oscars dans les catégories Meilleur Acteur et Meilleure Actrice dans un second rôle, Eddie Redmayne et Alicia Vikander, offrent des performances sublimes. Avec pudeur, avec dureté, avec tendresse, ils incarnent ce couple en proie aux doutes et aux incertitudes. Passant du bonheur au cauchemar, d’une vie de couple à celle d' »amies », les deux acteurs subissent et font subir aux spectateurs des montagnes russes d’émotions et de désarroi. Déjà vainqueur d’un oscar l’an dernier, Eddie Redmayne se réinvente à nouveau dans un rôle de victime et de bourreau… Victime (du hasard ? de la science ? des dieux ?) de la biologie qui a fait de lui un homme. Bourreau pour son épouse qu’il torture envers et malgré lui. Frôlant la mauvaise foi en se dédoublant et en donnant Lili une existence et une volonté propre, exaspérant par les secrets qu’il dissimule à sa femme, agaçant par une certaine attitude arrogante et quasi hautaine, Eddie Redmayne fait cependant d’Einar / Lili un personnage touchant par sa fragilité, par ses doutes et par une douceur qui perce sous une armure travaillée avec soin. Cependant cette interprétation est servie par la justesse et la délicatesse d’Alicia Vikander. Plus qu’un second rôle, Alicia Vikander est un véritable moteur pour le film. À la fois spectatrice et actrice du drame de la vie de son mari, elle est la première à le transformer. C’est elle qui le maquille, qui lui apprend à se maquiller. Elle l’incite à se travestir pour passer inaperçu à une soirée. Elle orchestre la métamorphose avant d’en subir les conséquences. Plus « masculine » par son attitude, par son franc parlé, par son obstination qu’Einar elle ne réalise que trop tard l’importance de la part féminine de ce dernier. Excentrique et pudique, passionnée et impuissante, Alicia Vikander incarne l’amour et l’abnégation dans tous ce qu’ils ont de plus extrêmes et de plus dévorants.
À cette distribution parfaite s’ajoute l’excellence et la minutie de Tom Hooper et de son équipe dans la reconstitution (pays et époque). Les extérieurs sont réinvestis par le passé. Les rues sont envahies par les anciennes automobiles et les vendeurs ambulants. Les costumes sont éblouissants et nous plongent dans cette époque maudite et effervescente. L’entre deux guerre est partout… Et elle n’est nulle part. Les personnages sont comme extérieurs à leur époque. Les difficultés financières courantes à l’époque (crise de 28) ne sont jamais mentionnées. La présence massive des américains, auteurs et peintres souvent décriés dans leur pays, à Paris est nulle alors que Gerda évolue dans le milieu artistique parisien. La multiplication des clubs homosexuels au sein de la capitale française dans ces années 20 n’est jamais révélée, ni utilisée dans cette quête d’identité. Cette soif de vivre vite pour fuir la morosité et le passé est absente du récit. Les perpétuelles réceptions et mondanités nécessaires pour se faire connaître et symbole de la société parisienne n’existent pas. L’histoire ne semble pas les toucher et les épargner. Cet ancrage historique n’apporte pas une force et une dimension supérieure au film. En choisissant de donner vie à Einar, Lili et Gerda, Tom Hooper a-t-il délibérément choisi de taire le contexte si particulier et si singulier dans lequel ils ont vécu ? Plusieurs hypothèses sont envisageables. La plus probable est peut-être la volonté du réalisateur a donné une dimension plus universelle à ce parcours. Une décision judicieuse dans une certaine mesure. En effet cet « oubli » permet au réalisateur de se concentrer sur ses personnages et leur histoire tout en évitant des images déjà vues et revues dans les films historiques. Par cette astuce l’universalisme du propos est garanti.
« Les interprétations d’Eddie Redmayne et d’Alicia Vikander ne suffissent pas à combler les vides. »
Et pourtant… à force de jouer avec le temps Tom Hooper finit par commettre une erreur. Irréprochable sur la reconstitution historique visuelle, il ne l’est pas sur la « temporalité » et la véracité des faits. En 1913, Einar pose pour sa femme portant les bas et les chaussons de femme. À partir des années 1920, Einar disparaît pour n’être plus que Lili. Elle est d’ailleurs présentée lors des soirées et réceptions comme étant la sœur d’Einar. En 1930, il/ elle subit la première opération chirurgicale. Quasi trente ans séparent le déguisement d’Einar occasionnel en Lili de l’intervention physique permettant la transformation d’Einar. Trente ans qui « n’apparaissent » pas dans le film. Trente ans qui s’écoulent en quelques mois (quelques années maximum). Détail scénaristique ? En omettant cette temporalité Tom Hooper se prive d’un plus grand impact émotionnel et d’une plus plus grande intensité. La souffrance, la douleur, l’incertitude et le chagrin prennent une autre dimension. Représenter le destin de toute une vie en deux heure est complexe. Mais certains ont su trouver des astuces et des tours pour donner vie à aux années qui ont été oubliées. Il suffit de regarder Citizen Kane pour s’en convaincre. La vie et le parcours du magnat Charles Foster Kane seraient-ils aussi marquants si Orson Welles n’avait pas pris une ride entre sa jeunesse dévergondée et sa vieillesse retranchée ? C’est ce « trop plein » qui manque terriblement à DANISH GIRL.
Mais finalement là où le film échoue le plus c’est dans sa manière de traiter le sujet et le thème de la représentation. Car tout l’intérêt du film devrait être là. Dans ces jeux de regards. Dans ces façons d’être ou de ne pas être. Dans la manière dont chacun se représente. D’autant plus que la profession de peintre des deux époux offrait un cadre visuel idéal pour traiter ces sujets. Mais là encore le réalisateur est démonstratif et illustratif. Oui, Einar est lui quand sa femme le représente sous les traits de Lili. Oui, Einar est en représentation lorsqu’il est un homme. Oui, le vrai Einar est une femme. Et ? Les regards échangés, les miroirs et les toiles ne sont en rien valorisés par la mise en scène. Ils sont là pour montrer. Rien de plus. En voulant trop montrer, trop appuyer sur ces éléments sans les faire vivre, Tom Hooper en fait des « objets » vides de sens, d’émotion et de passion. Un vide que l’interprétation des deux acteurs principaux ne parviennent pas à combler.
Marie
D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?
LES AUTRES SORTIES DU 20 JANVIER 2016
Legend, Made in France,The Danish Girl, Les Chevaliers blancs, Miss You Already, Paris Willouby, etc.
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• Titre original : The Danish Girl• Réalisation : Tom Hooper
• Scénario : Lucinda Coxon d’après l’oeuvre de David Ebershoff
• Acteurs principaux : Eddie Redmayne, Alicia Vikander, Amber Heard, Mathias Schoenaerts, Ben Whishaw, Emerald Fennell, Sebastian Koch, Adrian Schiller
• Pays d’origine : américain
• Sortie : 20 janvier 2016
• Durée : 2h0min
• Distributeur : Universal Pictures International France
• Synopsis : L’histoire d’un des premiers transsexuels qui se fit opérer pour devenir une femme.
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