L’histoire de SILS MARIA est un peu complexe mais il est nécessaire de la connaître pour comprendre les raisonnements proposés par le film.
Wilhelm Melchior est un metteur en scène ayant adapté au cinéma sa propre pièce, Maloja Snake. Cette pièce à permis de révéler une actrice à l’époque inconnue, Maria Anders, dans le rôle de Sigrid. Dans la pièce, Sigrid, jeune femme de 20 ans charismatique et sûre d’elle, exercera sur Helena sa patronne, une sorte de domination psychologique et sexuelle qui la mènera au suicide. 20 ans plus tard, Maria Anders, maintenant grande actrice internationalement reconnue se rend accompagnée de sa fidèle agent Valentine, à un hommage à Wilhelm Melchior. Le décès récent de celui ci déclenche une vague d’évènements qui mèneront à réaliser le « reboot » de Maloja Snake… Sauf que cette fois ci, avec Maria Anders dans le rôle d’Helena, et Jo-Ann Ellis, appartenant à une nouvelle génération d’actrices, dans le rôle de Sigrid.
Maria Anders et Valentine, entreprennent de répéter ensemble le rôle d’Helena, à Sils Maria, un chalet perdu dans les montagnes. Un lieu d’importance, puisqu’il s’agit de l’endroit ou Wilhelm Melchior à crée la pièce Maloja Snake.
SILS MARIA est un récit passionnant qui contient plusieurs films en son sein :
Celui d’un conflit intergénérationnel dans lequel le lien au Cinéma se fait autant par ce que représente un acteur ou une actrice aux yeux du spectateur, que par son rôle dans un film.
Celui d’une femme quarantenaire qui remet en question son talent et son amour pour le Cinéma, en travaillant avec une nouvelle génération de réalisateurs et d’interprètes.
Une évolution psychologique dépendante du rapport au désir, domination/soumission.
Olivier Assayas nous détaille tout cela en deux heures incroyablement intenses ou ses actrices et lui interagiront pour créer un grand huit métaphysique à la logique fine et sublime.
Le film d’Olivier Assayas observe et met en parallèle trois générations ;
ce parallèle ne se fait pas directement mais plutôt par plusieurs étapes, mises en abîmes et confrontations.
La génération des idoles, symbolisée dans le film, exclusivement par des hommes. Wilhelm Melchior, pastiche d’ Ingmar Bergman, en est le pendant intellectuel, tandis qu’ Henryk Wald, acteur beau et charismatique, mais plus interprète qu’intellectuel, le versant superficiel.
La génération de Maria Anders, actrice-force-de-proposition, jouant d’une forte stimulation intellectuelle autant que d’une sensualité psychologique et suggérée.
La jeune génération, celle de Jo-Ann Ellis. Celle ci est une sorte de croisement entre Lyndsay Lohan pour ses , et Amanda Siefried, . La première, pour ses frasques incontrôlables, la seconde pour cette apparence publique, de fragile et jolie jeune première destinée à une grande carrière. Ce genre d’actrices est défini par une accessibilité immédiate et simplifiée ; une représentation de l’actrice basée sur le culte du corps (génération YouPorn), mais une vulgarité masquant une sensibilité à fleur de peau…
Valentine, l’agent de Maria par son look, ses expressions, son aisance avec la technologie, ses goûts, symbolise la jeunesse mature.
Elle comprend parfaitement Maria Anders, la femme, à défaut d’apprécier Maria Anders, l’actrice. Ce qui en fait le lien évident entre les deux générations d’actrices représentées par Maria Anders et Jo-Ann Ellis.
Maria Anders cherche également sa place auprès d’hommes prétendument omnipotents dans leur compréhension de la femme (indirectement représentés par Olivier Assayas). Les volontés et exigences du public ayant changé en même temps que l’évolution technologique des médias, il s’agit pour Maria Anders de comprendre, puis de s’adapter à ces nouvelles mœurs, pour rester d’actualité.
Le film d’Olivier Assayas, lui réussit à capter l’air du temps via un regard vieillissant mais curieux.
La limite entre le jeu et la réalité, la mise en abyme, l’actrice et le rôle.
Maria doit préparer le rôle d’Helena. pour cela, elle demande de l’aide à Valentine, qui fait office de lectrice de la pièce. Cette pièce est un fantasme d’auteur déguisé, qui sexualise et pervertit les rôles. Ces répétitions sont donc le théâtre d’une vraie domination, progressive, de l’assistante sur sa patronne, sexuelle comme psychologique ; c’est un conflit de la jeunesse contre l’age.
Au delà de la performance d’actrices qui jouent un rôle dans le rôle, c’est l’habileté des dialogues qui met réellement en valeur les performances. Cette pièce que Maria et Valentine répètent, est un véritable moteur de leur avancement psychologique, qui provoque intelligemment et subtilement l’état de soumission/domination dans lesquelles ces femmes vont se placer.
Par ailleurs, le fameux Sils Maria du titre correspond à un col de montagne dans lequel se forme un nuage étrange, qui coule du sommet au fond de la vallée, comme un serpent, et que l’on nomme le Majola Snake, titre de la fameuse pièce/film mettant en scène Sigrid et Helena.
Ce lieu, Sils Maria, est celui que choisit Maria Anders pour préparer son rôle, avec l’aide de Valentine. Les deux femmes se placent en situation de huis clos pour totalement intégrer le rôle, exacerber l’interprétation, et par la, développer de façon exponentielle les sentiments intérieurs amenant à l’interprétation parfaite du personnage d’Helena.
Ce lieu magnifique (et magnifié par la mise en scène d’Assayas) isole et décuple le sentiment d’introspection recherché par ces deux femmes.
Le serpent de nuages Maloja Snake, symbolise donc plusieurs choses, le temps / la jeunesse qui s’écoule, une mélancolie latente, un désir, une attirance irrépressible, un rappel au péché originel, la convoitise du savoir et de la connaissance ultimes ; Il symbolise également, deux visions de la jeunesse exacerbées par le personnage de Sigrid dans la pièce Maloja Snake de Wilhelm Melchior avec Maria Anders en 1994, puis dans Maloja Snake 2 de Klaus Diesterweg avec Jo-Ann Ellis en 2014.
« Un exemple de communion entre un réalisateur et ses actrices pour construire ensemble le scénario et le développement de personnages complexes. »
Olivier Assayas se place majoritairement du coté de Maria Anders puisqu’il appartient à cette génération. Son profil de réalisateur épouse le profil de l’actrice. Toutefois, son intelligence réside dans sa confiance en ses actrices, leur capacité à transcender un script sans doute trop égocentriste pour délivrer une réflexion partagée en trois points de vue intergénérationnels. Le résultat est une vision du monde du cinéma contemporain, ou la complaisance d’une génération se pensant la meilleure est compensée par un point de vue nuancé et intelligent sur les autres.
Dans Sils Maria, les actrices, délivrent autant leur vision du Cinéma, par leur jeu hyper précis et juste, que le réalisateur y livre la sienne.
Il s’agit d’une réelle communion actrices/réalisateur.
Juliette Binoche est absolument exceptionnelle, dans son interprétation (?) de Maria Anders. Personnage certes écrit, mais habité. L’empathie ou plutôt la compréhension de ce personnage complexe est immédiate.
Kristen Stewart, la plus surprenante, adopte un ton neutre qui laisse pas mal de zones d’ombres et de doute sur son implication psychologique dans la vie de Maria Anders. Séduction? domination? Attitude résolument professionnelle?
Enfin, Chloë Grace Moretz en Jo-Ann Ellis à le dur rôle, de représentante d’une génération dépréciée par Maria Anders (par Olivier Assayas?) ; elle lui donne pourtant une présence crédible et respectable, qui existe par son mal-être, sans autre limite que celle de la reconnaissance médiatique. Une composition également troublante car pleine de contradictions assumées.
La complémentarité de ce casting est une énorme force dans ce film. Elle permet de donner un poids inouï à la réflexion proposée par Assayas. Les actrices ayant compris leur rôle et quelle force donner à leur interprétation, bien mieux que le réalisateur lui même. Elle transcendent le script écrit pour elles et transforment un simple fantasme d’auteur en un véritable questionnement métaphysique sur la variation du soi.
Olivier Assayas, avec une finesse inouïe assemble tous ces éléments pour nous fournir un portrait de femme complet, sous l’écrin du métier d’actrice.
Olivier Assayas, scénariste, dialoguiste et directeur d’acteur au sommet dans ce Sils Maria.