Rebelle romantique et marginal mordu par un loup-garou, Teddy subit les rituels classiques de la métamorphose et devient le postulat jubilatoire d’une des meilleures comédies françaises de ces dernières années.
Au beau milieu d’un champ, Teddy décrit à Rebecca leur avenir commun et ses envies de fuir un village avec lequel il n’est plus en adéquation. Le domicile et le futur ainsi idéalisés traduisent les velléités émancipatrices d’un curieux personnage, qui ne comprend plus les codes d’une société aliénée. Confronté à l’absurdité d’une génération dont les fers de lance sont les réseaux et les smartphones, Teddy est en quête d’une porte de sortie salvatrice. Masseur par défaut, il n’arrive plus à dialoguer avec ceux qui gravitent autour de lui et tente d’éviter l’implacable tsunami des normes. Punk ermite, son incapacité à communiquer n’est pas sans rappeler le comique de mot des fresques récentes de Bruno Dumont, à ceci près que le délire fantasmagorique qui en résulte suit ici le schéma actanciel rythmé d’une nouvelle fantastique classique.
Ainsi, après sa morsure, Teddy trouve un moyen savoureux d’éviter la contamination envahissante du groupe. La métamorphose progressive qu’il subit donne lieu à de belles idées de mise en scène, où l’adolescent se découvre une nouvelle forme de puberté, bien différentes des villageois grégaires qui se confondent en une procession funéraire larmoyante ou en d’abjects discours d’adieu. Le décalage, déjà souligné par les plans larges où Teddy s’appliquait à s’éloigner du groupe, laisse entrevoir la fiction comme un miroir moderne des récits épiques de Rabelais. Les moutons de Panurge forment à l’écran un bruyant troupeau où s’entremêlent différents visages de l’empirisme sociétal. Sont caricaturés tour à tour le policier dévoué, le jeune bon vivant conservateur, les désirs d’une cougar… un défilé carnavalesque prétexte à l’absurde et au cocasse, une tonalité audacieuse et rafraîchissante, transgressive aussi lorsqu’il s’agit de mettre à l’épreuve le héros.
C’est lorsqu’elle constate qu’elle n’appartient pas au groupe que Rebecca prend peur et décide d’intégrer une mouvance que, jusqu’alors, répudiait. Sa rupture avec Teddy est un pic satirique, où, sans filtre, elle clame son amour pour PNL. Dès lors, la transformation introduite en parallèle fait figure de geste libérateur. Le châtiment subi est imposé par la fiction et révèle une foi inébranlable des metteurs en scène en les pouvoirs de l’apologue. Outre les séquences d’horreur pure, très réussies, TEDDY engendre avant tout d’un implacable constat : il est temps de se débarrasser d’archétypes vieillissants et de laisser place libre à l’imagination débridée des créateurs.
Ludovic & Zoran Boukherma laissent entrevoir un talent certain dès ce premier film. Outre l’intertexte visuel carpentesque, proche parfois d’un Refn, c’est avant tout par l’équilibre juste entre de multiples tonalités que le film détonne. Le pessimisme de l’épilogue touche et émeut, et alors qu’on pense la bataille perdue pour le héros, un ultime plan vient faire écho à la morale sous-jacente tout au long de ces 1h30. Le regard de Rebecca, empli de regrets, traduit un manque, une nostalgie des premières heures de sa relation, où avec Teddy, elle laissait libre expression à ses pulsions. En tuant la bête, le monde devient une enclave morne et terne, où les habitants du village sont privés d’une rassurante thérapie fictionnelle. Ne reste finalement que ce regard, perdu et dépité, effroyable résultat des travers d’une société aliénée. C’est le vibrant bilan d’une comédie protéiforme, à mi-chemin entre la fable sociale et l’épouvante trash, une bouffée d’air frais face aux redites polluantes qui accompagneront sans doute les cinémas cet été.
Emeric
• Réalisation : Ludovic Boukherma & Zoran Boukherma
• Scénario : Ludovic Boukherma & Zoran Boukherma
• Acteurs principaux : Anthony Bajon, Christine Gautier, Ludocic Torrent, Noémie Lvovsky
• Date de sortie : 30 juin 2021
• Durée : 1h28min