Entre apologue familial et dystopie préventive sur les dangers de l’intelligence artificielle, ce dessin animé trouve un équilibre jubilatoire, à l’esthétique audacieuse. Un spectacle grand public, guide référentiel exhaustif pour découvrir le cinéma de genre.
Katie Mitchell, jeune adolescente « youtubeuse-vidéaste », s’apprête à quitter le cocon intime à l’heure où ses études l’orientent bien loin du Michigan. La rupture avec son père semble se consumer, tant le fossé générationnel s’est creusé. Le constat détonne : plus que le reflet d’un imaginaire collectif où s’opposent la nostalgie artisanale du père et la dépendance aux nouvelles technologies pour la fille, l’introduction fait état d’un pessimisme amer quant à l’équilibre familial. Teinté d’un humour absurde et transgressif, c’est avant tout l’échec d’un père que la première demi-heure s’applique à illustrer.
Qu’on ne s’y trompe pas : le récit soignera les plaies de ce duo à l’agonie, pour lequel le dialogue est devenu quasi-impossible. Le début du voyage vers l’université de Katie est un assemblage de péripéties dantesques où les Mitchell font les frais de l’inadéquation du père, Rick, avec son temps. Le jusqu’au-boutisme dans l’absurde déroute puisque la détresse devient une source paradoxale de comique. On ne peut qu’éprouver une forme de compassion pour ce quatuor singulier, qui s’éloigne à bon escient des sentiers battus empruntés régulièrement par ce type d’apologue. La narration prend le temps d’exposer les enjeux et il faut attendre le premier tiers du film pour qu’intervienne l’élément déclencheur qui vient faire basculer le film vers une étrange et savoureuse dystopie. Tout au long de ces deux heures, LES MITCHELL CONTRE LES MACHINES déploie une réelle profondeur emphatique pour ces personnages, ce qui n’est pas sans rappeler les divagations pixaresques de Brad Bird. C’est là aussi que le dessin animé se démarque dans le paysage contemporain bien terne en termes d’animation. Sans susciter l’ennui ou tomber dans une didactique latente, chacune de ces longues séquences apportent son lot d’humour et d’actions rocambolesques, où la famille s’affirme comme noyau soudé à l’aune du danger.
C’est là, également, l’autre bonne idée du film : le principal antagoniste prend les traits d’une intelligence artificielle. Le smartphone devient ainsi une menace mondiale, prétexte pour engendrer de nombreux et captivants flux narratifs. Cette opposition contre la technologie participe à l’affirmation du personnage de Katie dans la quête initiatique qu’elle traverse. En plus de s’attirer les bonnes grâces de son père, l’adolescente prend conscience des dangers et c’est toute une génération qui devrait être influencée par cette prise de conscience. La morale ainsi distillée trouve un compromis juste et opérant entre la nécessité de s’adapter à son époque et les divagations potentiellement provoquées par une dépendance trop extrême. Il serait aussi hypocrite de bouder son plaisir devant les multiples scènes d’action où l’imaginaire débridé des néophytes Mike Rianda et Jeff Rowe se déploie dans un tourbillon édulcoré.
Katie demeure ainsi le principal sujet du film et fait figure de réelle bouffée d’air frais si l’on réfléchit le divertissement contemporain à l’échelle de ses héroïnes. Loin d’un énième archétype du geek sauce Jimmy Neutron, ou plus récemment Ready Player One, la jeune fille réfléchit internet et les réseaux sous un autre angle. Ses vidéos prônent une créativité salvatrice, loin des contours lisses des mastodontes Instagram et Tiktok. Finalement, l’héroïne incarne simultanément une forme d’aliénation nécessaire en réponse à la dictature robotique et la démarche même des réalisateurs de ce surprenant dessin animé.
Il convient de contextualiser le film pour le penser, et à l’heure où le dessin animé contemporain s’enlise dans la répétition de lieux communs, les idées de mise en scène qu’illustre LES MITCHELL CONTRE LES MACHINES mettent en valeur une forme de mobilité féminine bien trop rare. Outre la bénédiction concédée à l’entente du quatuor, le retour à l’entente finale n’est dû qu’à l’inventivité de Katie et la chorégraphie qu’elle finit par orchestrer avec son père. Aussi, la mère en retrait finit par s’affirmer davantage. Réduit à souligner la fascination inutile pour les voisins archétypes de la bourgeoisie parfaite, son caractère se décante et s’implique pleinement dans la narration. Ainsi, l’émotion surgit et on regrette d’arriver à la fin de ce curieux voyage, apologue inter-générationnel qui restera comme l’une des meilleures surprises de ces quelques mois en VOD.
Emeric