Mank

MANK, l’héritage paternel des Fincher – Critique

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Après Alfonso Cuarón puis Martin Scorsese, Netflix s’offre un autre grand nom en la personne de David Fincher. Il signe son nouveau long-métrage intitulé Mank, un biopic en noir et blanc à la fois surprenant, fascinant et déconcertant.

Mank est le diminutif sympathique de Herman J. Mankiewicz, scénariste américain qui officia durant la fameuse période dite de l’ âge d’or Hollywoodien, entre les années 1930 et 1950. Il est rentré dans l’Histoire du cinéma pour son scénario du légendaire Citizen Kane d’Orson Welles. C’est Gary Oldman qui l’interprète, dépeint ici comme un alcoolique invétéré et visiblement peu inquiet à l’idée de cacher son vice aux yeux d’autrui et bénéficiant d’un humour assez caustique. L’acteur britannique, sans véritable surprise, se révèle formidable en doux rêveur passant la majeure partie du film alité ou titubant. De son côté, David Fincher, dont nous n’avions plus de nouvelles depuis Gone Girl il y a 6 ans (2014), décide de revenir sur le moment où Mank conçut le scénario sur une commande de Welles.

La naissance du nouveau projet de David Fincher sur Netflix ressemble à une affaire de famille. Un certain Jack Fincher est crédité au générique d’ouverture dans la catégorie scénario et après quelques recherches, il s’agit en réalité du père du cinéaste, ex-journaliste qui aurait entrepris d’écrire le récit relatant la genèse du « meilleur film de l’histoire du cinéma » sur les conseils de son fils, il y a de cela des années. Alors que beaucoup pensait le tourner fin des années 90 avec un casting apparemment pré-établi, ce ne fut pas le cas et voilà que le film débarque en 2020 dans un contexte tout particulier et qui plus est sur une plate-forme de streaming.

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Une première absolue pour le réalisateur, dont les relations avec les studios ont toujours été compliquées et c’est un euphémisme. Nous avons tous en tête l’exemple très connu du cas Alien 3, mais récemment encore, Fincher ne trouvait pas d’accord définitif dans ce qui aurait pu être l’après Gone Girl, à savoir la suite du blockbuster World War Z avec Brad Pitt. Sans doute sa vision du monde, très sombre, voir nihiliste et le traitement qu’il apporte à ses personnages, souvent enfermés dans leur propre solitude ne doivent pas toujours faciliter les négociations avec les boîtes de production. Heureusement pour nous spectateurs, l’homme s’accroche toujours très fort à ses convictions et à une esthétique remarquable, en témoigne une filmographie impressionnante, d’une qualité bien difficile à remettre en question. Pour en revenir à MANK, deux questions se posent avant la vision : avec ce sujet, Fincher reste-t-il fidèle à son cinéma et d’une manière générale, est-ce qu’un tel film aurait pu sortir en salles financé de manière « traditionnelle » ?

Objet de cinéma évidemment fascinant, mais pas pour tout le monde, Mank oblige pour la première fois David Fincher à rompre son style habituel.

Dès les premières minutes, MANK se présente techniquement comme un hommage fétichiste aux films des années 30-50. Il y a tout d’abord un noir et blanc évident, imposé par David Fincher, mais aussi un traitement sonore particulier, aux effets de réverbération appuyés et qui transforment légèrement la voix de tous les comédiens. Exactement comme ce que nous pouvons entendre en relançant un long-métrage de cette époque. L’exemple le plus probant est caractérisé par la voix incroyable de l’acteur jouant Welles ; il suffit de fermer les yeux pour croire à son retour, le temps de rares séquences où ce dernier est évidemment montré dans toute sa puissance mégalomane. La mise en scène traditionnelle dite « Fincherienne » s’efface ici au profit de celle appelée mise en scène de la transparence, qui caractérise particulièrement bien cette période.

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Tous les plus grands s’y prêtaient, de Howard Hawks à Michael Curtiz en passant par le Hitchcock des débuts, avant de partir dans une forme plus transgressive, avec la complicité de l’abandon du code Hays. Il s’agissait de cadrer les acteurs de la manière la plus imperceptible possible, la caméra étant censée « s’effacer » devant leurs prestations et leurs mouvements dans l’espace, d’où le terme de transparence. Ainsi Fincher accompagne la plupart des déambulations de ses protagonistes via de légers travellings et autres recadrages lorsque l’un se lève ou s’assoit. Les plans fixes pullulent également. L’hommage est tellement poussé que l’on notera même la présence des fameuses tâches noires, ces repères de changement de bobine que l’on verra par la suite jusqu’à l’avènement du numérique. Ce jusqu’au-boutisme technique se déguste au fil des minutes et saura réjouir les cinéphiles les plus exigeants.

Contribuer à réjouir les cinéphiles dans un geste de cinéma qui a tout pour fasciner. Sans doute était-ce présent dans la note d’intention de son auteur, or MANK est plus difficile que cela à appréhender, notamment pour les autres, dirons-nous, qui n’accorderont peut-être pas la même importance à l’enrobage séduisant, mais pourront se retrouver déconcertés par un récit assez fantasque et non linéaire, à l’image de son protagoniste principal après tout, truffé d’allers-retours temporels pas toujours évidents pour favoriser l’immersion. Dans ces nombreux flashbacks, on y parle beaucoup, avec une verve et un tempo soutenu et souvent politique.

On peut toutefois se laisser prendre au jeu de la sorte de parodie mise en scène par Fincher au sein du studio de la MGM et de son patron Louis Mayer notamment, mais il n’est pas évident pour qui ne connaît pas l’histoire d’origine de cerner immédiatement les enjeux, contrairement aux tête-à-tête entre Mank et Marion Davies, éternelle maîtresse de l’homme qu’il jalouse et qui va devenir sa principale source d’inspiration pour créer le magnat de la presse mégalo Charles Foster Kane dans Citizen Kane (William Randolph Hearst). Certainement amoureux d’elle, Mank se noie dans l’alcool et fait preuve d’une véritable audace dès lors qu’il s’éclipse devant son épouse pour aller flirter avec ou lorsqu’il se lance, saoul, dans un monologue plein d’insinuations perfides à l’encontre de son patron et de William Randolph Hearst lors d’un dîner.

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Il faut aller au bout pour découvrir tous les thèmes brassés par MANK durant 2h12, le plus évident étant celui du sempiternel rapport entre un auteur/artiste et sa création et en quoi peut ressembler la phase de conception, l’inspiration tutoyant le génie et la folie.

Il y a aussi la relation très particulière toujours d’actualité à Hollywood entre le scénariste et le réalisateur, deux visions qui peuvent parfois diverger, un cas avec lequel David Fincher est sans doute familier et tout naturellement la question du fameux final cut, qui revient sur le tapis ici lors de la conclusion, de manière détournée.

Welles retrouve Mank après avoir découvert une première version complète du script et se met dans une colère folle lorsque le scénariste demande à être crédité au générique. Le lien avec la question du final cut, ordinairement bataille entre le réalisateur et les producteurs, qui mettent la main sur les dernières versions du montage pour procéder à des modifications, est évident lorsque nous découvrons le nom de Welles avec celui de Mank sur le carton de fin dans la catégorie scénario, ancré dans la même volonté de s’approprier l’oeuvre. « Savez-vous pourquoi Welles est crédité avec vous ? » demande un journaliste à Mank. À cette question, ce dernier préfère répondre avec légèreté, mais elle symbolise une certaine industrie Hollywoodienne à laquelle s’est heurtée souvent David Fincher de toute évidence.

Mank n’est rien de ce que l’on pouvait attendre de lui, ce qui en fait sa meilleure qualité ou son plus grand défaut, c’est selon.

MANK a tout d’une œuvre à part dans la filmographie de David Fincher. Revenir sur la conception d’un des plus grands films de l’histoire d’Hollywood à l’âge d’or des majors et le découvrir sur Netflix est surprenant. D’aucuns y verront une nouvelle preuve du cynisme de son auteur, disons que l’ironie a plus d’évidence, surtout si l’on se penche sur les événements qui ont amené la plate-forme à s’y intéresser, après des collaborations satisfaisantes mais apparemment pas si fructueuses que cela, sur les deux excellentes saisons de Mindhunter.

Objet de cinéma évidemment fascinant, mais pas pour tout le monde, MANK ne ressemble en rien à ce que l’on pouvait attendre de lui, ce qui en fait sa meilleure qualité ou son plus grand défaut, au choix. Quoi qu’il en soit, après 6 ans d’absence derrière la caméra, il était temps de retrouver David Fincher, qui nous avait bien « manké ».

Loris Colecchia

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Titre original : Mank
Réalisateur : David Fincher
Scénario : Jack Fincher
Acteurs principaux : Gary Oldman, Amanda Seyfried, Tuppence Middleton, Lily Collins, Tom Pelphrey, Arliss Howard
Date de sortie : 4 Décembre 2020 sur Netflix
Durée : 2h12min
3.5
En Mank

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