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Sélectionné ce mois-ci par LaCinetek dans le cadre de sa sélection autour du « Rouge », SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN baigne dans une ambiance baroque irrésistible pour délivrer un commentaire politique inattendu.
Lorsqu’il sort en salles en 1964, SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN est un échec au box-office italien. Ne rapportant que 123 millions de lires italiennes et ne remboursant donc que la moitié des coûts de production, le film est presque instantanément oublié. Pourtant, aujourd’hui, ce long-métrage est reconnu comme étant l’un des films d’horreur les plus influents de l’après-guerre grâce au travail du maître de l’horreur italien.
Indissociable du cinéma italien, le nom de Mario Bava peut aussi bien être trouvé dans l’horreur gothique, les westerns spaghetti que dans le cinéma pulp ou le giallo. Avec SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN, un film bercé d’érotisme et de suspense, Mario Bava se positionne définitivement comme le maître du cinéma d’horreur italien, contribuant à la popularité des films issus du giallo. Ce dernier, mouvement italien des années 1960 à 1980 s’incarne dans son adaptation d’Hitchcock de 1963 (La Fille qui en savait trop) mais aussi et surtout dans son incontournable SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN. Riche en effets saturés et en coloris baroques, ce dernier retrace les meurtres brutaux des mannequins d’une maison de haute couture commis par un tueur masqué…
Avec ce scénario, SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN s’inscrit pleinement dans le genre naissant du giallo. Signifiant « jaune » en italien, le giallo fait référence aux romans policiers de l’éditeur Arnoldo Mondadori Editore (Il Giallo Mondadori) identifiables à leur jaquette jaune distinctive. Tout comme les krimis, films policiers allemands des années 1960-1970, se sont inspirés de romans policiers étrangers , le giallo s’inspire des œuvres d’Agatha Christie et d’Edgar Wallace. À l’instar du western spaghetti qui s’est ré-approprié un concept populaire issu d’un pays étranger, le giallo emprunte des éléments étrangers pour en créer une version italienne riche en couleurs.
Mais ce nouveau genre cinématographique s’inscrit également dans une période particulière de l’histoire de l’Italie : l’après Seconde-Guerre mondiale. Le giallo incarne ainsi les peurs socio-économiques de l’époque en encourageant une forme de paranoïa. SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN s’appuie ainsi sur ses couleurs parfois psychédéliques pour construire une atmosphère qui laisse à penser que rien n’est ce qu’il semble être à la surface. Mais le giallo se démarque également par sa violence, son ambiance fantastique et l’omniprésence de corps féminins dénudés. Ainsi, Mario Bava conserve cet érotisme dans ses longs-métrages et notamment dans SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN dont les meurtres bizarres sont la signature. Mais derrière ce qui pourrait être une forme de voyeurisme misogyne, le film tient un propos assez inattendu sur les rapports de genre.
Les films d’horreur ont toujours été politiques et SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN ne fait pas exception à la règle. Derrière son exploitation du corps féminin, le long-métrage de Mario Bava offre une plongée intéressante dans les rapports de pouvoir. Si les gialli sont connus pour l’omniprésence des femmes, ils n’en sont pas pour autant féministes. Brutalisées, défigurées, assassinées… les femmes y sont surtout les victimes de mystérieux tueurs gantés. Pourtant, elles peuvent aussi parfois être à l’origine des crimes dans les gialli : elles ne se réduisent donc pas à la figure de la victime et peuvent souvent se cacher derrière le masque de l’assassin. Avec un certain étonnement, on peut ainsi constater que certains personnages féminins semblent avoir plus de pouvoir d’agir dans ces films de genre des années 60 que dans certaines productions actuelles. SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN ne fait pas exception à la règle puisque non seulement le film dévoile une tueuse mais en plus il s’agit d’une meurtrière qui finira par prendre le meilleur parti d’un homme.
En donnant le couteau à une femme, ce giallo propose un commentaire autour de la masculinité et les normes patriarcales. Le fait que les meurtres visent des mannequins de mode n’est pas un anodin : ce sont des femmes qui tirent un pouvoir de leur beauté. Ainsi, derrières les différentes cicatrices laissées par le tueur, on peut y lire un commentaire intelligent sur la misogynie d’un tueur dont la véritable cible est la beauté féminine et le pouvoir qui en découle. Dès le premier meurtre, ce constat donne un indice sur l’identité du tueur : un homme essayant de priver une femme de son pouvoir en lui volant ses biens. Contre toute attente, SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN propose ainsi un commentaire discret sur la toxicité de la masculinité et la misogynie.
Pour autant, derrière un sous-texte qui pourrait se revendiquer du féminisme, SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN exploite ses personnages féminins comme des mannequins. Si dans de nombreux giallli, les femmes peuvent être des photographes, des scientifiques ou des directrices de galeries d’art, elles sont ici interchangeables et stéréotypées. Leurs noms et leurs visages sont instantanément oubliables et oubliés. Si ces femmes ne semblent prendre vie qu’au moment de leur disparition, c’est peut-être aussi pour mieux incarner l’ensemble des victimes de la misogynie. Manque de profondeur féminine ou volonté d’incarnation universelle, le spectateur fera son choix.
Bien que son cinéma repose souvent sur des stéréotypes de genre, Mario Bava renverse une dynamique de pouvoir en proposant avec SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN une œuvre passionnante sur les méfaits de la misogynie et de la masculinité. Malgré quelques défauts et maladresses, le long-métrage reste un film incontournable de l’histoire du cinéma notamment grâce à son ambiance glamour et son kaléidoscope de couleurs.
Sarah Cerange
• Réalisation : Mario Bava
• Acteurs : Cameron Mitchell, Eva Bartok, Mary Arden, Claude Dantes
• Date de sortie : 1964
• Durée : 88 minutes