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Oscarisé pour American Beauty, Skyfall et 1917, Sam Mendes confère à des sujets aussi hostiles que communs, une forme d’art et des émotions fortes. Avec EMPIRE OF LIGHT, le réalisateur britannique propose un cinéma plus humain sous les traits d’une ode à son art, personnelle et engagée.
Usines à rêves et échappatoire à la réalité, les hommages au cinéma se multiplient en cette période post-pandémie ayant secoué les coutumes du 7e art. Après Babylon et The Fabelmans, EMPIRE OF LIGHT se révèle plus discret en la matière. Inspiré de son enfance dans les années 80 et de sa mère aux troubles bipolaires, Sam Mendes combine pouvoir du cinéma et souvenirs d’enfance. Une richesse d’idées qui joue partiellement en la justesse de l’hommage attendu.
Hiver 80-81, Margate, station balnéaire de la côte sud-est de l’Angleterre. Hilary Small (Olivia Colman) est la responsable d’équipe du cinéma l’Empire dont les néons jaunes éclairent les bordures d’une ville souvent grise. Si elle maintient un visage attentionné avec son équipe, Hilary est fragile, enchaînant les traitements, et malléable, ne sachant pas dire non aux actes dégradants de son patron incarné par Colin Firth. L’arrivée de Stephen (Micheal Ward), jeune homme d’origine antillaise, marque chez elle, un regain de vie, au sein d’un cinéma dont la fonction première semblait oubliée. Le réalisateur offre cette fois un cinéma plus intime et marqué par des engagements sociétaux toujours d’actualité. EMPIRE OF LIGHT s’apparente à un drame social, probablement plus beau et sage qu’il devrait l’être.
Noirceur et beauté
Parler de beauté revient ici à parler du travail de Roger Deakins (1917, No Country For Old Men, Prisoners, Skyfall) et de sa photographie. Loin de toute technologie, le film marque par sa subtilité et sa précision de l’image. Le cadre du film semblerait suffire à lui seul et uniquement par des éclairages et des silhouettes, Roger Deakins transcende cette ville côtière vieillissante et surtout son cinéma. Les bâtiments, les fenêtres, les couleurs semblent guider naturellement les décisions du photographe ; une composition entre le fonctionnel et le grandiose, proche du magnifique. Un contraste fort émerge alors : celui de cette lucidité de l’image et de la cruauté du message.
Tantôt soignée, tantôt monotone, la musique du duo Reznor-Ross contribue à la somptueuse mise en place du cinéma l’Empire, cadre exclusif du récit. Une partition en symbiose avec l’image, un jeu de ton et de température, de la ferveur de la salle et la froideur des coulisses, l’introduction du cinéma est faite avec une belle délicatesse. Mais progressivement, on comprend que ce doux regard sur le cinéma fait en réalité partie d’un panel d’intrigues bien plus vaste ; celui d’un tableau d’une époque. Au sein d’un cinéma dont on devine l’apogée passée, Mendes dépeint le portrait d’une nation britannique dans la tourmente, préférant célébrer les gloires du passé avec, dans ses cinémas, Les Chariots de Feu.
Drame éclectique
Pour réellement apprécier EMPIRE OF LIGHT, il faut finalement autant le considérer comme un récit social qu’un hommage au cinéma. Les thématiques sociétales évoquées dans le film sont nombreuses, traitées de façon séquentielle. Ainsi, si le cinéma est au centre du film par le déroulement de son histoire, il ne révèle son véritable potentiel que tardivement ; celui de réunir et de guérir des âmes blessées. Avant cela, il est le lieu où s’expriment tous les maux d’une époque marquée par une perte de lien culturel, d’aliénation sociale et de racisme. Les relations entre les personnages, à l’image du lien entre Hilary (Olivia Colman) et Stephen (Micheal Ward), évoluent dans le but de donner du sens à ces thèmes mis en scène de façon brutale. L’oppression croissante que subit Stephen (Micheal Ward), la fragilité sentimentale grandissante de Hilary (Olivia Colman), tous deux occupent une place importante dans EMPIRE OF LIGHT, avec leurs climax successifs avant de se nouer à l’univers du cinéma. Lui semble trouver le réconfort à créer cette magie depuis les coulisses, elle semble retrouver la paix en renouant avec l’obscurité de la salle.
Les deux personnages se lient très vite, leur relation va évoluer tout au long du film : de la passion à l’amitié, leur lien va et vient avec les émotions du personnage d’Olivia Colman. Un amour impossible, qui s’apparente plus en réalité à un besoin mutuel de l’autre, un besoin de se retrouver entre marginalisés. Le déni de la santé mentale, le racisme, la solitude, le cinéma en tant qu’exutoire, toutes ces thématiques se juxtaposent avec la justesse et la dramaturgie nécessaires. EMPIRE OF LIGHT, perd, en contrepartie, de cohérence en raison du peu de temps accordé au développement des personnages et de leur intimité.
Joyau d’émotions
Malgré sa beauté sage et le poids de ses thématiques, EMPIRE OF LIGHT peut souffrir d’une narration assez pauvre, parfois trop crue. Penchant vers le film d’ambiance, EMPIRE OF LIGHT touche par sa pudeur d’écriture et de dialogues, rendant chaque histoire complexe et profonde. L’émotion vient souvent de la performance d’Olivia Colman, qui aussi bien dans sa plénitude que son déchirement, relie le tout avec brio. Emphatique, on observe sa déchéance dans son discours au bord du craquage, du rouge à lèvres sur les dents ; on admire sa renaissance, les larmes aux yeux alors qu’elle semble découvrir l’illusion de vie qu’est le cinéma. Micheal Ward, de son côté, s’affirme, bien qu’il n’ait pas tant l’occasion de briller en raison d’un script un peu réduit. Il arrive cependant à donner une complexité à son personnage, aux souffrances discrètes à l’écran, mais suffisantes pour comprendre son lien qui va se forger avec Hilary.
En parallèle, Colin Firth dans son rôle de directeur véreux, matérialise toute la cruauté de ce monde en montrant sa mainmise sur les plus faibles. Toby Jones, quant à lui, est le personnage à l’importance insoupçonnée : projectionniste réservé, il est empreint d’une grande sincérité, faisant ouvrir les yeux aux protagonistes principaux sur l’expression de leurs sentiments. Il est l’âme et le cœur du cinéma, le seul à véhiculer directement sa magie.
La façon d’aborder les troubles d’Hillary (Olivia Colman) est probablement l’un des éléments les plus touchants du film. La pathologie n’a encore pas de nom ou du moins, n’est pas reconnue. Hilary (Olivia Colman) est soutenue, mais beaucoup ne semblent pas savoir comment l’aider, Stephen (Micheal Ward) le premier. Comme un enfant observant la déchéance d’un proche, le spectateur comprend et compatit avec ces deux personnages bien que leurs troubles ne soient jamais clairement identifiés. L’émotion n’a pas besoin de mots, la maladie d’abord discrète se manifeste alors par des crises qui se vivent de plus en plus intensément. Mendes arrive à construire son univers intime autour du personnage d’Hilary (Olivia Colman). Lorsqu’elle sombre, c’est tout le cinéma qui semble à l’arrêt. En privilégiant la pure fiction à l’autobiographie partielle, EMPIRE OF LIGHT aurait perdu de sa puissance émotionnelle et de son regard innocent porté sur ses thèmes lourds. Une célébration du cinéma dont la splendeur tient dans sa mise en scène et ses performances fortes.
Paul GREARD
• Réalisation : Sam Mendes
• Scénario : Sam Mendes
• Acteurs principaux : Olivia Colman, Micheal Ward, Tom Brooke
• Date de sortie : 1 mars 2023
• Durée : 1h59min