nostalgie hollywoodienne

Les années 2010, nostalgies hollywoodiennes – Analyse

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Ces dix dernières années ont été marquées par l’explosion des remakes et des reboots dans le cinéma hollywoodien. De fait, il a beaucoup été reproché aux studios leur manque d’originalité allant puiser dans un imaginaire uniquement tourné vers le passé. Convaincus qu’il s’agit bien plus que d’une simple démarche mercantile, nous avons essayé de comprendre ce phénomène et ce qu’il révèle du cinéma contemporain.

Suite, remake ou reboot ?

Si la notion de remake existe depuis toujours dans l’industrie hollywoodienne, elle connaît un vif succès au tournant des années 2010. Les studios voient dans cette mode une manière de rentabiliser les franchises de leurs catalogues. Parier sur des suites, reboot et autres remakes comporte de nombreux avantages. Cela permet notamment d’investir une marque déjà connue et identifiée par le grand public, une aubaine marketing et commerciale. Les producteurs peuvent dès lors s’appuyer sur une fanbase déjà conquise tout en visant une nouvelle génération de spectateurs qu’il faudra également séduire.

J.J. Abrams est le réalisateur qui incarne parfaitement cette mouvance, sa filmographie l’illustre dès 2009 avec le reboot de Star Trek. La mode est aussitôt lancée, tout le monde veut s’y engouffrer et les remakes se lancent à la pelle. Vont suivre d’autres franchises portées par différents studios pour des tentatives plus ou moins concluantes, Tron: l’héritage en 2010, Total Recall en 2012, Robocop en 2014, Ninja Turtles (2014 et 2016) ou encore SOS Fantômes sorti en 2016.

En 2009 Terminator Renaissance donne une suite à la mythique saga. Malgré une volonté d’aller de l’avant le film est accueilli tièdement par la critique et ne rencontre pas le succès escompté. En 2015, après de multiples rebondissements dans le rachat des droits, la franchise est relancée avec Terminator Genisys qui décide de faire table rase et réinvente sa mythologie entre remake et reboot, bénéficiant également du retour tant attendu de Schwarzy. Le film est un échec commercial et critique. Terminator: Dark Fate, sorti en octobre dernier vient confirmer la donne, la franchise n’a pas réussi à profiter de la décennie pour réactualiser sa saga. Mais là où certains échouent, d’autres excellent magistralement. C’est le cas notamment de La Planète des Singes qui prend une direction claire en choisissant dès le premier opus de 2011 de rebooter l’univers. Les deux volets suivants seront assurés par Matt Reeves, révélé en 2008 avec Cloverfield produit par un certain J.J. Abrams…

Jurassic World
© 2015 Universal Pictures

En 2015 sort Jurassic World réalisé par Colin Trevorrow qui est à la fois une suite et un remake. Le film s’inscrit dans un héritage revendiqué, n’hésitant pas à aller puiser dans le premier film de Spielberg. Il joue volontairement sur la ligne nostalgique et convoque dans son imaginaire tous les codes du blockbuster à la sauce eighties. La formule se retrouve payante puisque le film est un carton salué par la critique, il récolte plus de 1,6 milliards de dollars de recettes à travers le monde dont plus de 6 millions d’entrées en France. 2015 est une année clé dans cette mouvance puisque c’est également l’année de sortie de Mad Max: Fury Road mais aussi de Star Wars VII: Le Réveil de la Force dont nous parlerons plus loin.

Ce qui est fondamental et commun à cette vague de nostalgie, c’est la référence quasi systématique à la décennie 1980. Il serait donc intéressant de se demander pourquoi les années 80 et qu’est-ce que ce retour en arrière raconte du cinéma d’aujourd’hui ? Plusieurs pistes pour l’expliquer, d’abord c’est une période qui constitue, après le Nouvel Hollywood, un certain âge d’or du blockbuster porté par des figures de proue telles que Steven Spielberg, James Cameron, Robert Zemeckis ou encore Georges Lucas. Ces auteurs façonnent l’industrie telle qu’on la connaît aujourd’hui et impriment durablement les imaginaires de toute une génération de spectateurs.

Les années 80, le nouvel âge d’or

Mais ce retour en arrière en dit certainement bien plus sur notre rapport au monde, les raisons se cachent inévitablement dans un inconscient collectif qui nourrit cette nostalgie. Les années 80 sont marquées par l’ère Reagan qui impulse de grandes réformes économiques libérales. Dans les mémoires il reste le président qui a mis fin à la guerre froide, le moral des Américains remonte alors au plus haut. Les Etats-Unis sont les grands vainqueurs de cette décennie, à l’image des Jeux Olympiques de 1984 organisés à Los Angeles et boycottés par l’URSS. Les années 80 sont profondément empreintes de cet état d’esprit triomphant qui s’illustre notamment dans la pop-culture qui permet aux USA de rayonner à travers le monde. Cet enthousiasme transparaît dans le choix des couleurs et les directions artistiques qui habillent cette époque. Quarante ans après avoir vaincu le nazisme, l’Amérique de Madonna et de Michael Jackson triomphe des Soviétiques, consomme en masse et s’apprête à vivre le boom économique des années 90.

Au contraire, les années 2000 sont marquées par la présidence de Georges W Bush, le 11 septembre et l’enlisement de la guerre en Irak qui réveille les fantômes du Viêt Nam. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’hégémonie américaine est mondialement remise en question. S’en suit la crise des subprimes qui débouche sur la crise financière mondiale de 2008. Le modèle américain se fissure et se retrouve contesté à l’intérieur même de la société laissant place à une profonde désillusion. Fahrenheit 9/11 obtient la Palme d’or à Cannes en 2004 et la mouvance alter-mondialiste gagne en popularité jusque dans le cinéma hollywoodien, à l’image de la trilogie Matrix.

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© Netflix

Le retour aux années 80 apparaît comme une réaction à cette période de déclin, un retour à une époque rassurante qui constitue un âge d’or à la fois économique mais aussi idéologique. Les années 2010 comme un désenchantement du rêve américain, un reflet déformé projeté dans le miroir du cinéma. C’est peut être aussi ce que raconte la série Stranger Things avec The Upside Down comme reflet démoniaque d’un monde apparemment idéal. La série n’est peut-être pas si consensuelle et la fascination quasi fétichiste qu’elle entretient pour cette époque apparaît dès lors beaucoup moins gratuite. En suggérant l’existence d’un monde souterrain et invisible, elle nous invite à gratter le vernis de cette époque censée en refléter l’idéologie libérale triomphante.

Réécrire l’histoire

Bien entendu Disney n’échappe pas à cette mode du retour en arrière et voit dans cette mouvance nostalgique, une incroyable opportunité de rentabiliser son catalogue. Le phénomène débute en 2010 avec Alice au Pays des Merveilles réalisé par l’enfant prodigue de retour dans la maison mère, Tim Burton. Le film est un succès au box office et remporte deux Oscars, une belle entrée en matière qui annonce la volonté de la firme aux grandes oreilles d’intensifier les remakes live de ses classiques.

Avec Maléfique en 2014 Disney entreprend de revisiter sa légende en proposant une réécriture du conte de La Belle au Bois Dormant centrée sur son antagoniste, Maléfique. La tentative est un succès qui révèle une expérience assez intéressante. En effet, le studio propose une relecture de son classique à l’aune des questionnements qui traversent la société. Une ambition particulièrement pertinente qui donne un sens à cette campagne de réécriture des classiques. Malheureusement à peine empruntée, cette voie semble déjà délaissée tant les adaptations qui suivent retournent dans la droite lignée du remake fidèle à sa version d’origine. Cendrillon 2015, Alice à travers le miroir 2016, La Belle et la Bête 2017, seul Le Livre de la Jungle de 2016 réalisé par Jon Favreau se démarque en proposant une relecture plus sombre et plus mature dans un écrin esthétique qui impressionne. Mais le sel de la nostalgie est toujours là, présent dans chaque remake, film après film.

nostalgie hollywoodienne
© 2016 Disney

L’année 2019 voit la sortie de trois adaptations, Dumbo, Aladdin et Le Roi Lion. Ce dernier, lui aussi réalisé par Jon Favreau, va jusqu’à proposer une transposition presque à l’identique, reproduisant le film original plan par plan. L’ambition est ici limpide, aller chercher les enfants des années 90 qui ont aujourd’hui grandi pour leur proposer une expérience rétrospective sans apporter de réelle valeur ajoutée. Le film est néanmoins un carton et se classe numéro un au box office France 2019. La nostalgie se suffit à elle-même, le film n’a plus besoin d’autre argument que le simple souvenir qu’il convoque dans l’imaginaire du spectateur. Disney recherche la recette de la madeleine de Proust, produire de l’émotion à travers le souvenir de cette émotion originelle. Disney vient de conceptualiser le film doudou.

Maléfique: Le pouvoir du mal débarque fin 2019 pour continuer de creuser le sillon « révisionniste » entamé par la franchise. Disney continue d’interroger sa propre légende remettant en question ses icônes et leurs représentations. Et même s’il a été accueilli plutôt froidement, le film est le seul à réellement se démarquer pour proposer quelque chose de bien plus intéressant qu’il n’y paraît.

Le film se regarde

Capitaliser ainsi sur la nostalgie n’est pas toujours sans danger. Entre fidélité et trahison au matériau originel, les spectateurs peuvent parfois se sentir dépossédés de leur imaginaire. Au fil du temps les studios ont appris à composer avec ce rapport ambivalent au public qui oscille en permanence entre amour et haine. Les attentes du public sont aujourd’hui scrutées et entièrement intégrées au processus de création. On peut clairement distinguer un second degré de lecture élaboré pour provoquer la nostalgie du spectateur, le film doit être pensé comme une véritable madeleine de Proust. Par conséquent, les créateurs se retrouvent souvent tiraillés devant des équations insolubles. Essayer de satisfaire le public à la fois en lui donnant la petite dose de nostalgie qu’il est venu chercher mais aussi en le surprenant avec du neuf. C’est la notion de fan-service qui a ainsi émergé, bouleversant en profondeur le contenu des blockbusters et le rapport entre le public et les créateurs.

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Les réalisateurs ont recours à un panel d’outils, easter egg, références, clins d’oeil, pour installer un dialogue de connivence pensé pour flatter la nostalgie et ainsi gagner l’adhésion du spectateur. Mais de fil en aiguille le regard du public s’est aiguisé amenant les propositions à se faire de plus en plus métacinéma questionnant directement l’essence du film. C’est notamment le cas de la dernière trilogie Star Wars qui passe son temps à interroger son héritage. Les films dialoguent entre eux, s’observent à travers l’histoire du cinéma et se répondent au-delà des époques. Comme si le cinéma avait soudainement pris conscience de lui même et se regardait à travers les yeux du spectateur. Une scène de Once upon a Time… in Hollywood est venue illustrer parfaitement cette idée. Lorsque Margot Robbie, dans une émouvante mise en abîme, contemple son reflet de celluloïd pour une singulière confrontation métaphysique.

La Mort du cinéma

2015 marque un véritable tournant avec les sorties de Mad Max: Fury Road et Blade Runner 2049 qui connaissent à la fois un succès public et une reconnaissance critique. Les deux films réussissent le pari d’allier entertainment et proposition d’auteur exigeante. George Miller donne une suite inespérée à sa propre saga inaugurée en 1979 et Denis Villeneuve parvient à réactiver l’univers iconique de Ridley Scott, monument cultissime de la science-fiction. Les planètes semblent enfin s’aligner, Hollywood vient d’ouvrir la boîte de Pandore. Tous les fantasmes cinéphiliques paraissent désormais envisageables, et la promesse d’une nouvelle version de Dune par Villeneuve est le point d’orgue de cette ambition. Mais à tout vouloir adapter, à rendre palpable la moindre chimère tapie dans le territoire du désir, ne sommes-nous pas en train de détruire notre bien  le plus précieux, le fantasme ? La fin du désir programmée par un assouvissement compulsif qui conduirait vers une inexorable extinction de nos imaginaires.

Le cinéma d’aujourd’hui fait face à sa propre histoire pour questionner les images et les imaginaires qu’il a façonnés. Il pose également la question de son utilité à l’heure des nouveaux média et des plateformes SVOD. La mort du septième art éternellement prophétisée n’a jamais été aussi présente dans les problématiques des réalisateurs. La nostalgie est donc devenue une composante naturelle de ces préoccupations. Tarantino a livré cette année ce qui manifestement restera comme son film le plus personnel, affirmant une fois de plus la fonction cathartique de la fiction. Avec The Irishman Scorsese, lui aussi, s’est adonné à l’exercice testamentaire en filmant le crépuscule de ses idoles. Comment alors ne pas songer à la symbolique de cette technologie utilisée pour le rajeunissement des acteurs ? Les visages vampirisés par cette étrange hybridation numérique qui plonge De Niro dans une agonie sans fin. Finalement privé d’expiation physique, il hante le film jusque dans son dernier plan qui se refuse lui aussi à mourir.

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© 2019 Netfix

La mort du cinéma pas uniquement en tant que médium mais également en tant que support d’enregistrement du réel. Cette décennie aura aussi été celle du passage de la pellicule au numérique. La fin d’une époque mais également la fin d’une certaine manière de penser le monde. Car la pellicule c’est avant tout un rapport à la physicalité de la lumière, composante fondamentale du cinéma, contre la dématérialisation du monde à travers le numérique. Un univers cinématographique qui va jusqu’à se passer d’acteur, à l’image du dernier Star Wars qui fait revivre Carrie Fisher à travers sa doublure numérique. Le cinéma s’affranchit du dernier tabou de l’existence en abolissant la mort dans un ultime fantasme transhumaniste. Une problématique également présente dans le dernier film d’Ang Lee, Gemini Man, dans lequel Will Smith affronte son double numérique maléfique. Une métaphore tapageuse pour acter une mort inéluctable face à l’émergence d’un monde nouveau. Le cinéma est mort, vive le cinéma !

Hadrien Salducci

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