Après un début prometteur, cette série qui se focalise sur les mésaventures d’un club de jazz parisien déçoit par son manque de profondeur et la multiplicité d’intrigues superflues.
Présentée comme la série de Damien Chazelle, THE EDDY avait tout pour plaire. De son casting quatre étoiles à un scénario ambitieux, tout laissait penser que ces 8 épisodes confirmeraient l’engouement autour du réalisateur émérite de Whiplash, lui qui en trois films s’est mis Hollywood à ses pieds. Il faut déjà savoir que Chazelle ne réalise que les deux premiers opus et cela se ressent tant la mise en scène perd en consistance au fil du récit. Surtout, si le club éponyme aurait pu être la source de nombreuses histoires palpitantes sur le thème de la musique, il n’en est rien puisque le scénario s’embourbe dans de nombreuses sous-intrigues sans aucune consistance.
Tout débute pourtant parfaitement : Elliot et Farid, passionnés de musique, gèrent un club de jazz dans le 18ème arrondissement de Paris. Si la faillite est entrevue, un groupe résidentiel créé par le premier nommé commence à jouir d’une bonne réputation et pourrait prétendre à un enregistrement. Le plan séquence initial souligne habilement tous ces enjeux et montre que contrairement à La La Land ou Whiplash, la série donnera la parole à ces musiciens de l’ombre, ceux qui, loin des conservatoires et des projecteurs, déploient leur énergie pour vivre de leur talent au jour le jour. C’est d’ailleurs quand la caméra virevoltante de Chazelle s’attarde sur eux que la série atteint de réels pics émotionnels.
Suite à un événement tragique des plus étonnants, le récit prend la direction d’écueils inévitables. Le procédé consistant à s’attarder durant chaque épisode sur un personnage écarte la narration de son principal sujet : la musique et l’union sociale qu’elle peut engendrer. Alors que le parallèle avec la banlieue aurait pu donner naissance à un apologue où le jazz parvient à vaincre les clivages sociaux, il n’en est rien. C’est au contraire de nombreux clichés qui sont véhiculés. Du frère encombrant et violent emprisonné par son milieu social à la chanteuse talentueuse indécise quant à sa carrière, peu de rebondissements surprennent. L’épisode axé sur l’attachant Sim, s’il n’est pas désagréable à suivre, ne traite que de manière superficielle les thèmes qu’il aborde. Il est frustrant de ne pas en savoir davantage sur les corrélations possibles entre religion et musique, effacées au profit de dialogues redondants ou de séquences contemplatives trop longues et dénuées d’intérêt. Surtout, la multiplicité des personnages et le manque d’ambition scénaristique deviennent vite une entrave à l’empathie pour cet ensemble trop abstrait.
Le spectateur, à la manière d’Elliot face aux problèmes se démultipliant, ne peut qu’être excédé en visionnant les épisodes 6,7 et 8. Certains personnages y disparaissent au profit d’autres, inutilement importants. C’est le cas par exemple d’Amira, admirablement jouée par Leïla Bekhti et de ses enfants, Adam et Inès. Ces derniers auraient pu être la source d’une réelle tension dramatique et servir le discours de fond sur la musique et son apport. L’épisode 3, parfaitement mis en scène par Houda Benyamina, donne pourtant à voir cette énergie brute qui se dégage de ce groupe au terme de séquences où les corps endeuillés se meuvent au rythme d’un jazz expérimental. Au contraire, l’arrivée d’un nouvel opposant, archétype sans charisme, et la répétition de scènes d’interrogatoire qu’on ne demande qu’à fuir mettent à l’écart ces entités dont le rôle semblait crucial. Il n’était d’ailleurs pas nécessaire de faire un épisode entier sur Katarina ou Jude pour comprendre les troubles qui les entourent : les gros plans les montrant se démener avec leur instrument soulignent à eux-seuls ce mal-être et cette nécessité de jouer pour subsister.
Le dynamisme de la jeune Julie (Amandla Stenberg, prometteuse) et quelques plans-séquences musicaux notables sauvent l’ensemble du fiasco total. La représentation de Paris n’est elle aussi, pas désagréable, quoi que sous-exploitée et parfois stéréotypée. Pour s’approprier tout le potentiel d’un sujet si riche, on aurait sûrement préféré voir quelqu’un de plus audacieux derrière la caméra et davantage de prises de risques visuelles. Là où une série comme Validé parvenait malgré ses imperfections à dévoiler les facettes cachées et destructrices du monde du rap, THE EDDY n’est qu’un pamphlet sans saveur qui s’éparpille dans de trop nombreuses directions pour traiter convenablement de la démence générée par le jazz.
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Le début de l’épisode trois, filmé à l’aide d’un téléphone portable, révèle les moments heureux vécus par Elliot, Farid et leurs amis au sein du club. Il aurait été sûrement plus plaisant de s’attarder sur cet âge d’or au lieu d’insister sur le deuil, les peines et les obstacles engendrés par le domaine de la musique. Ce rapport conflictuel qu’entretient Eliott avec le monde qui l’entoure dessert ces instants sacrés où le jazz-band réunifie en se produisant, exhibe sa capacité à concilier malgré les différences. Cette propension à fédérer est pourtant soulignée dans un épilogue plaisant, mais incohérent et omettant toutes les péripéties de cet ensemble trop vaste et confus. La conclusion d’un concert lassant, où de trop nombreuses fausses notes se sont regrettablement immiscées.
Emeric
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• Créateur.rice.s : Damien Chazelle, Jack Thorne
• Acteurs : Andre Holland, Joanna Kulig, Amandla Stenberg, Tahar Rahim, Leïla Bekhti
•Date de sortie : Mai 2020
• Durée des épisodes : 60 minutes